Entrer sur les réseaux sociaux aujourd’hui, c’est constater que nous sommes sur un territoire où se livre une guerre déterminante pour la domination du symbolique, pour le contrôle des subjectivités
Auteur: Karima Oliva Bello le 25 septembre 2020
Le dimanche 13 septembre dernier, la dénonciation de la violence verbale subie par la poétesse Teresa Melo, la sociologue Mariela Castro et la journaliste Paquita Armas, prises à partie en raison de leur position politique et de leurs déclarations en faveur de la Révolution et des institutions cubaines, est devenue virale sur les réseaux sociaux. Le silence des médias privés et des voix qui, récemment, s’étaient jointes à une forte attaque médiatique contre la violence de genre à Cuba, ainsi que le silence de ceux qui produisent systématiquement des contenus dans ces médias en faveur de la liberté d’expression, entre autres droits, ont attiré l’attention d’un certain nombre de personnes et une question s’est imposée : où êtes-vous maintenant ?
D’autres n’ont pas du tout été surpris. Cette absence n’a rien fait d’autre que mettre en évidence les deux poids deux mesures d’un discours mobilisé par des ressorts liés à la propagande politique contre Cuba et qui n’a rien à voir avec un réel engagement pour la défense des droits et la résolution des problèmes sociaux derrière lesquels il se retranche. En ce sens, j’exclue les voix qui – sans lien avec cette machinerie – ont honnêtement exprimé leur préoccupation sur la question de la violence de genre, ainsi que sur d’autres problématiques sociales, aussi bien à d’autres occasions que maintenant.
La violence utilisée de la sorte est une pratique systématique contre des femmes et des hommes afin de réduire au silence des positions politiques révolutionnaires dans un espace médiatique virtuel où la pensée libérale pro-capitaliste est hégémonique. Le silence ou la relativisation face à ces formes de violence témoigne d’une complicité révélatrice. La sélectivité quant aux choix des violences à amplifier sur le territoire virtuel et celles à relativiser met en évidence l’agenda de manipulation médiatique autour de nos problématiques sociales.
L’existence d’un système de médias privés, la fabrication de leaders d’opinion alliés à des organisations ouvertement de droite qui conçoivent une propagande politique sur la réalité cubaine maquillée en débat théorique, ainsi que les campagnes médiatiques déclenchées constamment sur les réseaux sont des exemples de ce scénario, qui a pour objectif fondamental le changement de gouvernement à Cuba, autrement dit, la restauration du capitalisme. Il existe une structure de médias privés et leurs collaborateurs rémunérés qui s’efforcent de diaboliser le système politique cubain, ses institutions, ainsi que quiconque les défend.
Ces acteurs médiatiques sont à la recherche des dernières données, événements ou anecdotes sur lesquels ils pourraient fabriquer des contenus, faisant appel, plus qu’à une analyse critique rigoureuse, aux ressorts émotionnels des lecteurs. Ils se présentent comme des représentants d’une pensée critique, alors que c’est tout le contraire, dans la mesure où ils coïncident avec les courants conservateurs de pensée à l’échelle mondiale et le sens commun que ceux-ci alimentent. L’objectif est de coloniser culturellement les imaginaires collectifs afin d’imposer une tendance de pensée pro-capitaliste et de créer les conditions subjectives favorables à un changement de régime, ainsi que de discréditer toute position de résistance sur un territoire virtuel, où les valeurs sur lesquelles ils s’alignent sont hégémoniques. Cela explique le silence face aux agressions contre des femmes révolutionnaires : de telles violences sont utiles à leurs fins et, tout au moins, ils ne s’y opposent pas.
Entrer sur les réseaux sociaux aujourd’hui, c’est constater que nous sommes sur un territoire où se livre une guerre déterminante pour la domination du symbolique, pour le contrôle des subjectivités. Les mécanismes qui sont en jeu, du point de vue sémiotique, doivent être étudiés de manière plus approfondie. Il s’agit d’une voie à explorer par les sciences sociales attachées à la pensée décolonisatrice. De même que la production de contenus de haute qualité véritablement axés sur l’amélioration de nos réalités est également un défi. Tout sujet que les institutions cubaines laisseraient dans le vide sur les réseaux sociaux, ou un dérapage de communication commis par leurs représentants, sera capitalisé pour mobiliser et fabriquer des états d’opinion contre le système politique cubain, là où il n’existe pas de culture critique sur le fonctionnement des réseaux sociaux sur Internet et où l’avalanche de contenus, de vidéos, de mèmes et de fausses nouvelles qui s’y déchaîne tous les jours contre Cuba exerce son influence.
Dans son discours du 17 juillet 2020 dans le cadre de la présentation de la stratégie économique, le président Miguel Diaz-Canel a mis en garde contre la manière dont, je cite, « en matière de droit et de société, ils n’ont pas renoncé à rechercher des points de rupture dans l’unité nationale, en amplifiant les possibles désaccords sur des questions sensibles comme le mariage égalitaire, le racisme, la violence contre les femmes ou le mauvais traitement des animaux, pour n’en citer que quelques-uns, auxquels nous travaillons sérieusement afin de résoudre des siècles de dettes, que seule la Révolution au pouvoir a affrontées avec d’incontestables progrès ».
Et sur ce point, le plus important est peut-être : l’attention portée aux problèmes sociaux qui sont capitalisés par les groupes qui voient dans le capitalisme une voie à suivre. Dénoncer la manipulation dont ces problèmes font l’objet ne les résout pas. Ceux qui sont déterminés à changer le système n’ont aucun intérêt à les résoudre, ils ne font que les instrumentaliser : le capitalisme aggraverait chacune de ces problématiques. La solution des dettes auxquelles le président a fait référence doit être considérée comme une part inséparable de la voie des changements en cours. Les institutions à Cuba ont une double tâche : résister à l’offensive médiatique, non seulement en y réagissant, mais aussi en mettant en œuvre leur propre programme.
Mais elles ont aussi pour mission de continuer à traiter les problématiques sociales dans leurs manifestations concrètes, ce qui est encore plus important, non seulement parce que cela enlève la possibilité qu’elles soient capitalisés, mais surtout parce que cela constitue, en soi, la raison d’être de la Révolution. En ce sens, elle a une longue feuille de route, même s’ils veulent la passer sous silence, elle a été un chemin historique difficile de revendications pour ceux d’entre nous qui n’avions jamais rien eu auparavant.
Avec Mario Benedetti, « nous admettons que la révolution comporte des erreurs, des inadéquations, des déviations, des schématismes. Mais nous l’assumons avec sa face et son revers, avec sa lumière et son ombre, avec ses victoires et ses défaites, avec sa limitation et son amplitude. Car, en dépit de tous ses échecs, toutes ses carences, la révolution reste pour nous la seule possibilité pour l’être humain de retrouver sa dignité et de s’épanouir : la seule possibilité (médiate ou immédiate, selon les cas) de se sauver de l’aliénation dans laquelle il est quotidiennement plongé par l’ordre capitaliste, par la pression coloniale ».
Face aux nouveaux défis et aux agressions depuis une société civile virtuelle, minoritaire en nombre, mais multimillionnaire en termes d’argent, avec lesquelles les États-Unis nous attaquent, rien ne peut nous amener à un conformisme qui nous immobiliserait. La volonté d’aller de l’avant pour réaliser davantage doit l’emporter, aussi bien dans l’espace virtuel que dans le réel.
Aucun commentaire