Che guevara, juste un homme

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Dans « Che, une vie révolutionnaire », le remarquable travail d’investigation de Jon Lee Anderson fait corps avec le talent du dessinateur José Hernandez. Ensemble, ils donnent à voir, sans manichéisme, le parcours incroyable de l’homme au béret étoilé. Une œuvre efficace et intelligente.

Un article de Cathy Dos Santos publié dans le quotidien « L’Humanité » du 14 novembre 2020.

Buenos Aires, gare de Retiro, 7 juillet 1953. Ernesto Guevara n’est pas encore le Che, lorsqu’il part avec son complice Calica découvrir l’Amérique latine. Un voyage initiatique qui renforce alors les sensibilités politiques du jeune médecin, né en 1928 dans une famille aisée. À des milliers de kilomètres de là, Fidel Castro, docteur en droit, entreprend de renverser la dictature de Batista. Il s’affaire aux derniers préparatifs de l’assaut de la caserne de Moncada, à Santiago de Cuba, considéré à ce jour comme l’événement déclencheur de la révolution de 1959.

Les deux hommes ne se connaissent pas. Du moins, pas encore. Ce n’est que deux ans plus tard, à Mexico, que leur rencontre va sceller une puissante amitié. Elle forgera les idéaux révolutionnaires de l’Argentin. Ernesto devient Che, guérillero, commandant de la révolution, président de la banque de Cuba, diplomate itinérant de la Grande Île en plein chamboulement, un internationaliste jusqu’au bout des ongles et jusqu’à sa mort, en 1967, à La Higuera en Bolivie.Sa trajectoire, sa pensée, ses idées sont présentées avec une rare fidélité. Le défi était pourtant immense : faire rentrer des ’petites’ bulles la complexité de cet homme bien réel.

Sa trajectoire, sa pensée, ses idées sont présentées avec une rare fidélité. Le défi était pourtant immense : faire rentrer dans des petites ’bulles’ la complexité de cet homme bien réel.

La plume de Jon Lee Anderson et le coup de crayon de José Hernandez redonnent chair au jeune homme, devenu un mythe haï par les uns, idolâtré par les autres. « Che, une vie révolutionnaire » est un roman graphique redoutablement efficace. Les trois tomes d’origine, réunis ici en un, retracent l’incroyable parcours de Guevara, sans tomber dans aucun des clichés convenus dès lors qu’on parle de lui.
Ni icône, ni gadgétisation

Le journaliste et spécialiste Jon Lee Anderson, déjà auteur d’une biographie de référence sur Ernesto Guevara de la Serna, s’attache à présenter l’homme, sa trajectoire, sa pensée, ses idées, avec une rare fidélité qui mérite d’être relevée. Le défi était pourtant immense : faire rentrer dans des « petites » bulles la complexité de ce personnage bien réel. L’essentiel y est : le périple latino-américain, le Guatemala, le Mexique, l’épisode du Granma, la Sierra Maestra, ses hautes fonctions d’État, son expédition ratée au Congo, les trahisons boliviennes et sa fin tragique dans une petite école misérable, ses discours dont ses fameuses déclarations à Alger, sa méfiance envers l’URSS, la tendre complicité avec sa mère, l’amour pour ses enfants… Les fins connaisseurs reconnaîtront les propos de sa fille Aleida, lorsque son père, déjà grimé en vieux Ramon, vient lui dire adieu, ainsi que Pombo, son complice barbudo qui le suivra en Afrique et en Bolivie.

Un réalisme captivant

 Les extraits des journaux de bord du Che, ainsi que ses correspondances personnelles et politiques restituent les certitudes qui habitent le communiste. « On n’attend pas les conditions » pour faire la révolution, « on les crée », affirme-t-il. Jon Lee Anderson, dont le précieux travail d’investigation a permis de localiser le lieu où avait été enterrée la dépouille du Che, brosse les facettes connues et méconnues du révolutionnaire dont l’éthique aura été la colonne vertébrale de son engagement. Il n’y a pas de place pour le manichéisme. Non, le Che n’est pas le « boucher de la Cabaña » ni un fol illuminé, pressé d’exporter la révolution. Il n’est pas non plus question d’icône ou de gadgétisation de l’homme au béret étoilé.

Pour la nouvelle génération, la vie de cet Argentin de bonne famille engagé dans le combat armé pour changer le monde, peut s’avérer étonnamment révélatrice.  Jon Lee Anderson « Je voulais comprendre qui était réellement cet homme, au-delà de l’iconographie et des polémiques. (…) Puisque Che Guevara est un parangon de la jeunesse rebelle, il est peut-être nécessaire, après tout, de l’envisager par le prisme de chaque génération. (…) Pour une génération plus habituée à se révolter en pianotant sur un iPhone qu’en jetant des pavés, la vie de Che Guevara, un jeune Argentin de bonne famille ayant étudié la médecine avant de s’engager dans le combat armé pour changer un monde qu’il trouvait injuste, peut s’avérer étonnamment révélatrice. Je pense qu’il faut raconter l’histoire du Che d’une manière qui provoque le trouble, mais aussi, sans doute, la réflexion. C’est ce que ce roman graphique cherche à accomplir », explique l’auteur. Mission accomplie. On ne lit pas ce roman graphique, on le dévore. Le talent de José Hernandez y est pour beaucoup. Ce dessinateur, rompu à l’exercice dans la presse mexicaine, s’est inspiré des photographes de l’époque qui ont immortalisé en pleine action le Che, Fidel et Raul Castro ou encore Camilo Cienfuegos : il en restitue toute la beauté. Ses dessins nous transportent à l’époque et nous communiquent l’intensité des ambiances, qu’elles soient dramatiques, chaleureuses ou déchirantes. Sa technique de colorisation apprise à l’école de cinéma nous place face à un écran géant. Le réalisme de ses planches n’en est que plus impressionnant, captivant. « C’est le fondateur des éditions Sexto Piso, Eduardo Rabasa, qui a eu l’idée de faire un roman graphique sur le Che (et) évoqué la possibilité d’adapter l’ouvrage de Jon Lee ­Anderson en bande dessinée. Quand il me l’a proposée, j’étais plus qu’enchanté, j’étais terrifié. (…) Le Che est un personnage passionnant. C’est un homme hors du commun (…) qui ne laisse personne indifférent », confie José Hernandez. Le résultat est persuasif, intelligent, loin, très loin d’une quelconque momification de la figure du Che. « Che, une vie révolutionnaire »,
de José Hernandez et Jon Lee Anderson.
Éditions la Librairie Vuibert, 429 pages, 22, 50 euros.

https://www.humanite.fr/che-guevara…

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