« Le socialisme cubain devra savoir prendre des risques »

0

L’économiste cubain Joaquin Infante Ugarte revient sur les enjeux actuels de l’île alors qu’un mouvement de grandes réformes y est en cours.

10 03 CUBA JOACHIM

Depuis les années 2010, Cuba mène des réformes économiques d’envergure. Qu’est-ce qui a motivé ce plan baptisé « Actualisation du modèle économique cubain » ?

Il fallait à la fois affronter des problématiques externes comme la crise du capitalisme, le blocus, le prix des matières premières… Mais aussi internes : l’efficacité de l’industrie, les répercussions des catastrophes naturelles, l’égalitarisme, les équipements obsolètes, l’investissement ou la centralisaton.

 

La notion d’entreprise a aussi évolué. Avec de nouvelles formes et le développement du secteur privé à côté du public.

La majeure partie de l’économie cubaine est publique. Il existait jusque-là un secteur « non-étatique » composé d’agriculteurs individuels et de coopératives agricoles. Là, l’Etat a autorisé de nouveaux statuts non-étatiques : la coopérative de services soit 430 000 personnes et les cuentapropistas, plus de 500 000. Des gens travaillant en cooopérative ou à leur compte dans des secteurs autorisés par l’Etat. Sans oublier le statut déjà existant de l’entreprise mixte à 51% de capital cubain public et 49% étranger. Si on a constaté que le cuantapropismo a développé des inégalités de revenus entre Cubains, ce n’est pas pour autant une arrivée du capitalisme. L’Etat doit gommer ces inégalités. Les réformes fonctionneront si les investissements étrangers augmentent. Nous devons prendre le risque et ne pas être conservateurs. Pour rebondir, notre économie doit tabler sur 5% de croissance. Or, elle était à -0,9% en 2016, contre 4% en 2015 *.

Les entreprises publiques doivent pouvoir agir avec plus d’autonomie. Ce n’est pas contradictoire. Et l’Etat ne doit pas avoir peur d’entrer en concurrence avec le privé. L’économie publique peut démontrer son efficacité.

 

Cuba peut-il atteindre un développement optimal tant que ses relations avec les Etats-Unis seront gelées ?

Le développement de Cuba est freiné par le blocus imposé par les Etats-Unis depuis 1962. Encore plus depuis la chute de l’URSS. Washington a espéré un effet domino que subirait Cuba. ça n’a pas eu lieu, même si notre économie a alors chuté de 35%. Le président Obama a été plus intelligent que son prédécesseur et son successeur. Il avait le même objectif d’en finir avec la Révolution, mais une autre tactique. Trump méconnaît l’opinion majoritaire des Américains sur Cuba. Sa politique nous empêche de faire du commerce avec les USA alors que c’est notre marché naturel. Cuba est obligé de passer par des pays tiers. Avec augmentation des distances, donc des coûts. Ce blocus doit cesser.

 

Dans un tel contexte, comment Cuba s’en est-il sorti ? Malgré des difficultés persistantes.

Avec l’élection de Chavez à la fin des années 1990 au Venezuela, la situation s’est améliorée. L’Alba a été créée et l’économie a peu à peu repris. Grâce aussi au tourisme. Jusqu’à la crise mondiale de 2008.

 

La question d’un type nouveau de socialisme se pose-t-elle ?

Le socialisme cubain offre de grandes opportunités et des droits gratuits : santé, éducation, culture. La planification centralisée est en vigueur. Il faut changer cette conception. Elle est trop difficile à réaliser car la vie est dynamique, le monde et les technologies bougent. Je prône une planification flexible, car nous dépendons des marchés mondiaux. C’est toute une mentalité qu’il faut changer.

 

Depuis 1994, deux monnaies cohabitent sur l’île : le peso cubain destiné à la population et le peso convertible chargé de capter les devises étrangères notamment des touristes. L’Etat a annoncé en 2013 vouloir les réunifier. Avec quel objectif ?

La dualité a eu des effets négatifs. Elle a diminué la valeur du peso cubain à l’exportation. Et certains produits nationaux sont chers. La réunification n’est pas le remède miracle mais elle est indispensable pour revaloriser le peso cubain, la monnaie des Cubains.

 

Des pays y investissent malgré tout. Cuba est-il attractif ?

Oui, il y a plus de 300 projets d’investissements étrangers dans les domaines du tourisme, des hydrocarbures, des énergies renouvelables ou de la biotechnologie. Cuba accueille 4 millions de touristes par an. Il y a besoin d’infrastructures pour répondre à cet afflux. Quant aux questions énergétique et environnementale, le pétrole est aujourd’hui important pour nous, mais nous devons nous tourner vers l’énergie renouvelable. Pour demain.

 

Entre ces réformes et le départ de la présidence de Raul Castro prévu, Cuba semble à un carrefour de son histoire.

Oui. Mais je continue à penser que le socialisme est le système le plus juste. A nous de savoir le rendre efficace au niveau économique mais aussi en termes d’équité, d’éthique et de vision du monde.

(* Selon le ministère cubain de l’Economie, elle a été de 1,6% en 2017.)

Réalisé par Sébastien Madau

http://lamarseillaise.fr

A propos de l'auteur