Rafael Padilla, né esclave à Cuba, est devenu dans le Paris de la Belle Époque le célèbre « clown Chocolat ». Il s’est ainsi imposé comme le premier artiste noir ayant connu la célébrité.
Premier humoriste noir, vedette de la Belle Époque, il a fait du rire une arme fatale qui désarmait ses offenseurs. Surnommé Chocolat, il est né sans état civil, esclave, à La Havane, vendu à 10 ans. Il est pourtant devenu le premier humoriste noir.
Le mot « racisme » n’existait pas encore
Chocolat a 18 ans quand il arrive à Paris. À la fin de l’année 1886, un célèbre clown anglais que Chocolat accompagne est invité à Paris pour inaugurer une salle de spectacle qui venait d’ouvrir ses portes. Il s’agit du Nouveau Cirque, situé au 251 rue Saint-Honoré, dans l’un des quartiers les plus chics de Paris. Rafael découvre la ville-Lumière à un moment où la France entame une nouvelle période de son histoire. En 1870, la IIIe République avait remplacé le Second Empire. La liberté de la presse, l’école laïque et la politique parlementaire avaient été imposées en quelques années par le nouveau régime. Ce qui avait accéléré brutalement l’intégration des classes populaires au sein de l’État-nation.
Le clown Chocolat fait rire alors parce que les spectateurs n’ont jamais vu de Noir. Le mot racisme n’existe même pas encore en français. Avec ses gestes bizarres et sa danse “épileptique”, on le qualifie d’”étrange représentant de l’espèce humaine”.
« Voici un nouvel acrobate, un amuseur nouveau. Celui-là c’est Chocolat. Il est le clown à la mode, le personnage nécessaire à tous les intermèdes et à toutes les fêtes. Son visage noir remplace dans les acrobaties la figure blafarde du maigre Pierrot. Chocolat triomphe. On va voir Chocolat. On fait à Chocolat des rôles spéciaux, la Noce de Chocolat est aussi célèbre aujourd’hui que les bêtises fameuses de Janot au XVIIIe siècle. Chocolat est roi. Chocolat est maître. Vive Chocolat ! » Extrait du livre de Jules Claretie sur les clowns
Les tremplins du capitalisme et du jeune public
Le capitalisme en plein essor utilise l’image de Chocolat pour vendre des pneus Michelin ou du savon, avec son acolyte le clown blanc Frootit.
Au gré de ses pérégrinations, des cafés théâtres de Montmartre aux salons mondains de Boulogne, Chocolat rencontre Marie, une femme du peuple, mariée, deux enfants. Chose rare à l’époque, elle divorce pour lui. Mais ils ne peuvent se remarier ensemble, car Chocolat reste sans papiers.
À ce moment-là, au cirque, l’évolution des mœurs ne permet bientôt plus d’exploiter le stéréotype du Noir humilié. Chocolat se retrouve au chômage. Mais il saisit l’émergence, chez les bourgeois, de ce qu’on commence à appeler « le jeune public ». Chocolat incarne des romans, des jouets, des jeux, des figurines… Deux fois par semaine, il va faire rire les petits malades à l’hôpital. Ses sketches fascinent les enfants. Ils leur montrent comment résister au pouvoir des adultes. Il est battu, mais il résiste, et il en rit. Beaucoup d’enfants participent d’ailleurs aux cagnottes pour aider Chocolat à sortir de la misère.
Car avec l’essor du cinéma, puis la guerre, les cirques ont fait faillite. Un matin de 1917, Chocolat est trouvé mort. L’employé de l’état civil refuse d’inscrire dans son registre son surnom, “Chocolat”, un nom de clown. Né et mort sans nom officiel, Chocolat a pourtant été la première vedette noire de France.
Interview sur www.radiofrance.fr/franceculture
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