Le président cubain, Raul Castro, sera en France le 1 et 2 février prochains en retour à la visite que son homologue, François Hollande, lui fit en mai 2015. En effet, la France et Cuba s’engagèrent sur une voie qui accorda un dynamisme – par suite d’un compromis signé à La Havane, fin 2010 – à la tractation de dossiers sensibles à l’augmentation de la coopération bilatérale. Or ce n’est qu’à partir de 2014 que le rythme des rencontres s’accélère et s’élève aux plus hautes magistratures, diligentant les avances qui en matière technique, économique, commerciale… étaient en train de se matérialiser.
Presque au même moment, sur le plan multilatéral, la France prôna l’avant-garde dans les négociations de la dette cubaine (qui par ailleurs ne s’honorait plus dès la fin des années quatre-vingt, l’île étant aux portes de la période spéciale), auprès de quatorze des États créanciers membres du club de Paris (1). Le processus aboutit le 12 décembre dernier à un accord qui annule les intérêts de retard cumulés et permet, sur une période de 18 ans, le règlement définitif des compromis acquis par le biais de remboursements directs ou sous forme d’investissements, qui privilégient le développement de projets sur le sol cubain. Dès à présent encouragés donc, les opérateurs économiques privés pourront s’y installer et des nouveaux financements seront en mesure d’être contractés avec un certain nombre d’institutions financières, autrefois impossibilités de toute transaction.
En effet, les pays européens, avec la France en tête, œuvrent en vue d’augmenter leur présence économico-commerciale à Cuba, entreprise possible grâce aux dispositions issues du VIème congrès du parti communiste, qui apprêta l’île à une ouverture à l’économie mondialisée, toutefois, dans un cadre général d’économie planifiée. La vitrine de cette volonté est la constitution d’une zone franche, ainsi que la construction d’un port à conteneurs capable d’accueillir des navires post-panamax à Mariel (à 45km à l’ouest de La Havane), fer de lance de leur stratégie à un moment où les travaux d’élargissement du canal de Panama arrivent à leur fin, en mai prochain.
Ces manœuvres de rapprochement évoluent dans un contexte de reprise de relations diplomatiques avec les États-Unis ainsi que – au sujet de l’embargo – de flexibilisation commerciale, toujours insuffisante pour les agro-industriels du sud du pays, dont les lobbies continuent à presser le congrès pour plus des libertés à l’échange. A propos, dans les mois à venir (et dans sa dernière année à la présidence) le président Barack Obama se rendra à Cuba où des annonces importantes seront attendues. Sans doute historique, un tel évènement sera le symbole par excellence de la reconnaissance du gouvernement cubain comme interlocuteur légitime. Or, parallèlement, le bureau de contrôle des avoirs étrangers du département du trésor étasunien décida, le 20 janvier dernier, d’appliquer une nouvelle mesure de sanction cette fois à une entreprise involucrée dans le développement d’un projet touristique sur l’île, permettant de constater les contraintes auxquelles sont toujours circonscrits les acteurs économiques à l’égard de Cuba. La normalisation pleine des relations entre ces deux pays, malgré les initiatives de l’exécutif reste, étant donnée la configuration actuelle du congrès, inscrite sur le long terme.
Engagement de la France à Cuba : entreprise d’une haute valeur stratégique.
Bien que le marché cubain n’est à l’heure actuelle que de taille limitée, par sa situation géographique, au passage des principales routes maritimes du commerce caribéen et interocéanique (Pacifique – Atlantique Nord), l’île comporte des solides potentialités économiques et un net intérêt géostratégique.
De nos jours, à peu près une soixantaine d’entreprises françaises investissent (2), par le biais de partenariats avec le gouvernement, dans plusieurs secteurs de l’économie cubaine (tourisme, construction, télécommunications, énergie, transport….). Encore que l’échange était déjà consistant entre Cuba et certains pays européens, son intensification ainsi que la graduelle implication des gouvernements, redimensionne la nature de ces relations. Tissant dans la plus grande des Antilles, les fondements d’un levier politique qui leur permettra de se projeter d’avantage sur l’ensemble du bassin caribéen. Sans pouvoir s’exempter d’atteindre, progressivement, les intérêts des États-Unis dans un espace historiquement réservé à son influence.
Les destins américains furent longtemps orientés par la maxime d’un manifeste (3), qui interdisait au demeurant, la projection de toute puissance européenne sur les affaires de l’hémisphère occidental. Aujourd’hui, le renforcement de liens entre les pays européens et Cuba génère des outputs, devient encore un facteur externe de pression pour la levée de l’embargo et témoigne du démarcage de la politique extérieure étasunienne. Source de rivalités et objet de convoitises donc, l’île se voit favorisée et expérimente un gain progressif dans ses capacités négociatrices face au gouvernement des États-Unis, avec qui plusieurs contentieux restent à résoudre.
N’en est moins qu’en 2016 l’île subira les effets de la chute généralisée des prix des matières premières, moins dans ses exportations de canne à sucre et de nickel, qu’à travers celle du pétrole que, certes, bénéficie le pays dans un premier temps par la baisse du prix à payer pour l’importation des denrées et autres produits manufacturés. Cependant, la principale source cubaine de divises, inscrite dans le secteur de services et concrètement, de services médicaux employés au Venezuela (destination de 45% de ses exportations en 2013), se verra négativement affecté si l’on tient compte que ce dernier, exportateur net de pétrole, traverse une extraordinaire crise budgétaire et politique.
Devant la période de contraction économique qui s’annonce, Cuba privilégie une stratégie de diversification de ses partenaires et la France, au mieux de sa relation et n’étant porteuse du passif étasunien, s’appuie sur une base consistante : sa diplomatie. Active et de qualité, elle cisèle les fondements d’une nouvelle heure dans l’association entre les deux pays, donnant graduellement lieu à la capitalisation de meilleures conditions pour les affaires. Tant est qu’une réunion est planifiée le 2 février prochain, entre Raul Castro et le Medef, pour avancer vers une nouvelle étape de décentralisation de la coopération bilatérale.
– Les États créanciers membres du club Ad Hoc de Paris, signataires de l’accord du 12 décembre relatif à la dette cubaine sont : l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse.
– Alcatel-Lucent, Alstom, Accor, Air France, Bouygues, Total, Pernod-Ricard…
– La Doctrine Monroe, résumée dans l’aphorisme « l’Amérique aux Américains », fut conçue par John Quincy Adams, secrétaire d’État sous la cinquième présidence des États-Unis, celle de James Monroe, à qui la phrase fut attribuée en 1823. Cette doctrine stipula que toute participation des États européens dans le continent américain, serait considérée comme une atteinte à la sécurité nationale des États-Unis et engagerait le pays à prendre des représailles.
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