Pourquoi l’Afrique du Sud aime Cuba ?

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 « Nous sommes venus ici conscients de la grande dette que nous avons face au peuple de Cuba. Quel autre pays peut-il exhiber l’histoire d’un plus grand désintéressement que celui dont a témoigné Cuba dans ses relations avec l’Afrique? » (Nelson Mandela, La Havane, 1991)

 

Il y a beaucoup de facteurs qui ont conduit à la disparition de l’Apartheid. Le gouvernement blanc sud-africain a été battu non seulement par la force de Mandela, la valeur du peuple d »Afrique du Sud, ou de la capacité du mouvement mondial à imposer des sanctions. Il a été aussi abattu par l’échec de l’armée de l’Afrique du Sud en Angola. Cela explique le rôle essentiel de Raúl Castro dans les obsèques de Mandela : ce furent les troupes cubaines qui ont humilié l’armée sud-africaine. Dans les années 1970 et 1980, Cuba a changé le cours de l’histoire au sud de l’Afrique malgré les efforts des États-Unis pour l’éviter.

En octobre 1975, les Sud-Africains, encouragés par le gouvernement de Gerald Ford, ont envahi l’Angola pour écraser le Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola (MPLA), de gauche. Ils auraient connu le succès si 36 000 soldats cubains n’avaient pas été là en Angola.

En avril 1976 les Cubains avaient repoussé les Sud-Africains dehors du territoire angolais.

Comme l’a signalé la CIA, Fidel Castro n’avait pas consulté Moscou dans sa décision d’envoyer à ses troupes (comme on peut le voir dans les réunions tendues qui ont lieu ultérieurement avec la direction soviétique dans la décennie de 1980). Les Cubains, a confirmé Kissinger dans ses mémoires, avaient fait face aux soviétiques alors que l’intervention était consommée. Fidel Castro avait compris que la victoire de Pretoria (soutenue par Washington) aurait renforcé l’emprise de la domination blanche contre le peuple sud-africain. Ce fut un moment décisif : Castro a envoyé des troupes en Angola à cause de son engagement pour ce qu’il a nommé la « plus belle cause », la lutte contre l’Apartheid. Comme Kissinger l’a observé plus tard Castro  » était probablement le leader le plus génial au pouvoir alors ».

La vague déclenchée par la victoire cubaine à l’Angola a déferlé sur l’Afrique du Sud. « L’Afrique Noire est en train de surfer sur la crête d’une vague générée par le succès de Cuba en Angola », a remarqué World, un journal important de l’Afrique du Sud noire. « L’Afrique Noire se gorge du vin enivrant de la possibilité de transformer en réalité le rêve de libération totale ». Plus tard Mandela s’est éveillé quand il a été informé de la victoire cubaine en Angola tandis qu’il était emprisonné dans Robben Island :

« J’étais dans la prison quand on m’a informé de l’aide massive que les troupes des internationalistes cubaines apportaient au peuple d’Angola … Nous en Afrique, sommes habitués à être victimes des pays qui veulent s’emparer de notre territoire ou subvertir notre souveraineté. Dans toute l’histoire de l’Afrique c’est l’unique fois qu’un peuple étranger s’est dressé pour défendre l’un de nos pays. »

 

Cependant, Pretoria ne s’était pas considérée comme vaincue : même après la victoire des Cubains, elle espérait démolir le gouvernement du MPLA de l’Angola. Les troupes cubaines sont restées en Angola pour la protéger de l’autre invasion sud-africaine. Même la CIA a admis qu’elles étaient « nécessaires pour préserver l’indépendance de l’Angola ». De plus, les Cubains ont entraîné des guérilleros de l’ANC, ainsi que les rebelles de la SWAPO, qui luttaient pour l’indépendance de la Namibie contre les sud-africains qui l’occupaient illégalement.

De 1981 à 1987, les Sud-Africains ont lancé de grandes vagues d’invasions au sud de l’Angola. La guerre était au point mort, jusqu’en novembre 1987, quand Castro a décidé d’expulser les Sud-Africains du pays une fois pour toutes. Sa décision a été provoquée par le fait que l’armée sud-africaine avait cerné les meilleures unités de l’armée d’Angola dans une ville de l’Angola méridional, Cuito Cuanavale. Et cela a été possible d’une certaine manière parce que Washington s’enfonçait dans le scandale l’Iran – Contra (Nicaragua).

Avant que le scandale n’ait éclaté, l’Iran – Contra à la fin de 1986, qui a affaibli et distrait le gouvernement de Reagan, les Cubains craignaient que les États-Unis puissent lancer une attaque contre leur patrie. Par conséquent, ils n’étaient pas disposés à la, priver de ses réserves armées . Mais l’Iran-Contras a limé les canines de Reagan, et a libéré Castro de ses craintes d’envoyer les meilleurs avions de Cuba, les pilotes et les armes antiaériennes en Angola. Sa stratégie était de rompre l’offensive sud-africaine à Cuito Cuanavale dans le sud-est et après attaquer par le sud ouest, « comme un boxeur qui avec la main gauche frappe et avec la droite met knock out ».

Le 23 mars 1988, les Sud-Africains ont lancé leur dernière attaque importante contre Cuito Cuanavale. Ça a été un échec absolu. L’État-Major Conjoint des États-Unis a déclaré: « La guerre en Angola a pris un tour dramatique et – en ce qui concerne les Sud-Africains – non désiré. »

La main gauche des Cubains avait bloqué le coup de l’Afrique du Sud, alors que sa main droite était préparée pour le knock out : des colonnes puissantes cubaines avançaient vers la frontière de la Namibie, en poussant les Sud-Africains au repli. Les MIG – 23 Cubains ont commencé à voler sur le nord de la Namibie. Des documents des États-Unis et de l’Afrique du Sud démontrent que les Cubains ont conquis toute la frange supérieure de l’Angola. Les Cubains ont exigé que Pretoria retirât inconditionnellement ses troupes d’Angola et permette des élections supervisées par l’ONU en Namibie.

L’État-Major Conjoint des États-Unis a été prévenu que si l’Afrique du Sud refusait, les Cubains étaient dans une position d’avantage. Les Sud-Africains ont reconnu leur dilemme « pour lancer une offensive conséquente sur la Namibie » : s’ils refusaient les demandes cubaines, ils couraient le « risque réel d’être impliqué dans une guerre conventionnelle à grande échelle avec les Cubains, dont les résultats seraient potentiellement désastreux ». La perspective de l’armée sud-africaine était sombre : « nous devons faire tout le possible pour éviter une confrontation ».

Pretoria a capitulé. Elle a accepté les demandes des Cubains et s’est inconditionnellement retiré de l’Angola et a accepté l’accord des élections supervisées par l’ONU en Namibie, qui ont été gagnée par la SWAPO ».

La victoire cubaine s’est répercutée au-delà de la Namibie et l’Angola. Selon les paroles de Nelson Mandela, la victoire cubaine « a détruit le mythe de l’invincibilité de l’oppresseur blanc … [et] a inspiré les masses dans une lutte de l’Afrique du Sud … Cuito Cuanavale a été le point d’inflexion pour la libération de notre continent – et de mon peuple – du fouet de l’Apartheid ».

mandela-Fidel-02Article d’origine: https://nationalinterest.org/commentary/why-south-africa-loves-cuba-9705

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