Les hérésies de Fidel Castro et la Révolution cubaine

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Nul doute que la Révolution cubaine qui triomphe en 1959, dirigée par le leader Fidel Castro, fut un tournant décisif dans l’Histoire de Cuba et aussi de l’Amérique latine. Elle sera dorénavant une hérésie non seulement face à l’impérialisme étasunien, mais face aux propres pratiques socialistes du 20e siècle et, sur certains aspects, pour l’Union soviétique elle-même.
Fidel s’est rebellé contre tous les pessimismes, défaitismes, préjugés et dogmes de l’époque. Il a fait une Révolution en s’écartant des préceptes des manuels marxistes selon lesquels le changement révolutionnaire n’était possible que lorsque se produirait une rupture dans le rapport entre les forces productives et les relations sociales de production, à savoir, quand les conditions objectives seraient créées. S’il avait suivi cette logique, combien de temps encore les Cubains et les Cubaines auraient-ils dû souffrir, dans l’attente d’une révolution ?
Fidel fut le plus marxiste parmi tous les marxistes de son époque, en assumant le marxisme comme une méthode, non comme une doctrine, et en interprétant correctement les conditions de Cuba et les voies appropriées pour faire une véritable révolution. Cela ne signifie pas qu’il négligeait les conditions objectives. Bien au contraire. Mais il a compris que le facteur subjectif est fondamental pour produire le changement révolutionnaire et créer de nouvelles réalités, celles qui ne changent pas d’elles-mêmes, mais à travers la praxis révolutionnaire, consciente et organisée.
En dépit de certaines « vérités établies » comme celle qui postulait que l’on pouvait faire une révolution avec l’armée ou sans l’armée, mais jamais contre l’armée, Fidel a dirigé une Révolution contre une armée puissante et moderne, qui comptait sur le soutien des États-Unis.
Par ailleurs, certains théoriciens du marxisme prétendaient que seul le Parti communiste pouvait faire une révolution sociale, mais dans le cas de Cuba, ce fut l’inverse : c’est la révolution sociale qui fit le parti.
D’autres signalaient qu’un homme d’origine aisée tel que Fidel ne pouvait pas diriger et défendre une révolution véritablement radicale. Fidel a balayé tous ces préjugés et ces schémas de pensée. Il a démontré une fois de plus dans l’Histoire que l’homme n’est pas la classe, et qu’il peut même en venir à affronter sa propre classe, en questionnant la réalité qui l’entoure et en assumant une attitude conforme à ses idéaux révolutionnaires.
Peu croyaient qu’il serait possible d’instaurer le socialisme à 90 miles des États-Unis, dans sa sphère d’influence traditionnelle et dans un pays où l’anticommunisme avait été copieusement inoculé, notamment à partir du début de la Guerre froide. Or, La Révolution cubaine, sous la direction de Fidel, a balayé également toutes ces théories géopolitiques de l’époque et il ne lui a fallu que deux ans et quelques mois pour déclarer son caractère socialiste.
L’hérésie de la Révolution cubaine a marqué également la sphère culturelle. Les historiques « Paroles aux intellectuels », de Fidel, le 30 juin 1961, ont clairement établi que le réalisme socialiste ne dominerait pas le climat culturel et les conditions de création dans la culture cubaine.
Fidel consacra une bonne partie de ses Paroles… à dégager tout doute dans ce sens : « Permettez-moi de vous dire, en premier lieu, que la Révolution défend la liberté, que la Révolution a apporté au pays un très grand nombre de libertés ; que la Révolution ne peut pas être par essence ennemie des libertés ; que si certains sont préoccupés par l’idée que la Révolution va asphyxier leur esprit créateur, permettez-moi de leur dire que cette préoccupation est inutile, que cette préoccupation n’a pas lieu d’être ».
Plus loin dans son intervention, Fidel déclare : « La Révolution ne saurait prétendre asphyxier l’art ou la culture alors que l’un de ses objectifs et l’un des buts fondamentaux de la Révolution est de développer l’art et la culture, précisément pour que l’art et la culture deviennent un patrimoine réel du peuple. »
Certains ont pensé que la vie du processus révolutionnaire cubain serait de courte durée, car il était impossible de résister longtemps à l’agressivité des différents gouvernements des États-Unis. Or, c’est désormais une réalité historique : la Révolution cubaine a survécu à onze administrations étasuniennes et à ses plus impensables et diverses variantes de politiques, visant toutes sans exception à détruire le processus révolutionnaire.
Par ailleurs, peu imaginaient qu’une île aussi petite, déploierait une politique étrangère aussi influente dans le monde – presque celle d’une superpuissance – et, en même temps, totalement indépendante des grands pouvoirs de la Guerre froide. Et cela fut ainsi durant des décennies sous la conduite sage du commandant en chef.
À certains moments, comme l’a brillamment démontré le chercheur Piero Gleijeses dans ses ouvrages, non seulement Cuba a défié les États-Unis, mais également l’Union soviétique. C’est ce qui s’est passé durant les années 60, lorsque Cuba a apporté son soutien aux mouvements de libération en Amérique latine et quand elle a décidé, en 1975, sans consulter Moscou, d’envoyer des troupes militaires en Angola pour repousser l’invasion de l’Afrique du Sud et du Zaïre, deux pays qui comptaient sur la soutien du gouvernement des États-Unis. Cuba ne fut jamais satellite de personne.
À la chute du camp socialiste, les pronostiqueurs du système impérial pensaient que Cuba ne résisterait pas, que ses jours étaient comptés. Non seulement la Révolution a résisté, mais au cours de ces plus de 20 ans elle a obtenu des succès insoupçonnés sur le plan économique, social, scientifique et culturel. Ce fut une hérésie non seulement du leadership de la Révolution, mais de tout le peuple cubain.
Mais quelque chose d’autre semblait plus impossible encore et cela fut aussi possible, avec les annonces du 17 décembre 2014 et le retour de Ramon, Antonio et Gerardo à Cuba. Une fois de plus, l’Histoire de Cuba a démontré, comme Fidel nous l’a signalé si souvent, qu’ « il n’existe pas dans le monde de force capable d’écraser la force de la vérité et des idées ».
L’hérésie de résister et de lutter durant plus de 50 ans sans faire la moindre concession de principe, a fini par faire plier le pays le plus puissant de l’Histoire qui, bien qu’il n’ait pas abandonné son objectif de détruire la Révolution, a été obligé de reconnaître l’échec de sa politique agressive qui n’a pas donné le résultat escompté.
La Révolution cubaine, avec toutes ses conquêtes sociales et ses idéaux révolutionnaires, continue d’être aujourd’hui une hérésie dans un monde où le système capitaliste impose l’égoïsme, l’individualisme, l’exploitation, la discrimination, la violence, la guerre, le consumérisme, l’aliénation, la pauvreté et l’inégalité extrême.
En dépit de la triste nouvelle de sa disparition physique, Fidel continuera d’être le plus grand hérétique qui a affronté l’impérialisme dans la deuxième moitié du 20e siècle et le début du 21e. Cette hérésie devient immortelle, car les révolutionnaires du monde, notamment les Cubains, nous portons en nous son esprit et ses idées. Notre meilleur hommage sera de suivre sa voie jusqu’aux dernières conséquences. Merci encore Fidel ! Tu continueras à livrer des batailles et à obtenir des victoires dans ce monde. Hasta la victoria siempre !

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Elier Ramírez Cañedo

Docteur en Sciences historiques. Co-auteur du livre « De la confrontación a los intentos de normalización. La política de los Estados Unidos hacia Cuba” (De la confrontation aux tentatives de normalisation. La politique des États-Unis envers Cuba).
(Traduction Gloria Gonzalez Justo)

 

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