Discours du général d’armée Raul Castro Ruz, président du Conseil d’État et du Conseil des ministres de la République de Cuba au Sommet des Amériques

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Panama, les 10 et 11 avril 2015

« Il était heure que je parle ici au nom de Cuba. Ils m’ont informé au départ que ce pourrait être un discours de huit minutes, et j’ai fait un grand effort avec mon ministre des affaires étrangères de le réduire à huit minutes et comme ils me doivent six sommets dont ils m’ont exclu, six fois huit, quarante-huit ; j’ai demandé l’autorisation au président Varéla , notre hôte dans ce magnifique salon pour qu’ils me cèdent quelques minutes de plus. Surtout après tant de discours intéressants que nous avons écoutés. Je ne me réfère pas seulement au président Obama, mais je me réfère aussi au président équatorien Rafael Correia, à la présidente Dilma Rousseff etc…

Sans plus de préambules, nous commencerons.

Excellence Juan Charles Varela , Président de la République du Panama ;

Présidentes et Présidents, Premières et Premiers Ministres ;

Je remercie pour leur solidarité tous les pays d’Amérique latine et des Caraïbes qui ont rendu possible la participation de Cuba sur un pied d’égalité à ce forum hémisphérique, et le Président de la République du Panama pour l’invitation qui si aimablement s’en est suivie. J’apporte une embrassade fraternelle au peuple panaméen et à ceux de toutes les nations ici représentées.

Quand les 2 et 3 décembre 2011 fut créée la Communauté des États Latino-américains et Caribéens (CELAC) à Caracas, une nouvelle étape fut inaugurée dans l’histoire de Notre Amérique, qui mit en évidence son droit bien gagné à vivre en paix et à se développer comme ses peuples le décident librement. Et il fut tracé pour l’avenir un chemin de développement et d’intégration, basé sur la coopération, la solidarité et la volonté commune de préserver l’indépendance, la souveraineté et l’identité.

L’idéal de Simon Bolívar de créer une « grande Patrie Américaine » a inspiré de véritables épopées indépendantistes.

En 1800, On pensa ajouter Cuba à l’Union du nord comme limite sud du vaste empire. Au XIXe siècle, surgirent la Doctrine du Destin Manifeste avec l’objectif de dominer les Amériques et le monde, et l’idée du Fruit Mur pour la gravitation inévitable de Cuba vers l’Union nord-américaine, qui dédaignait la naissance et le développement d’une pensée propre et émancipatrice.

Par la suite, au moyen de guerres, de conquêtes et d’interventions, cette force expansionniste et hégémonique dépouilla notre Amérique de territoires et s’étendit jusqu’au Río Bravo.

Après de longues luttes qui échouèrent, José Martí organisa la « guerre nécessaire » et créa le Parti Révolutionnaire Cubain pour la conduire et fonder une République « avec tous et pour le bien de tous » qui se proposa d’atteindre la « pleine dignité de l’homme ».

En définissant avec certitude et anticipation les traits de son époque, Martí se consacra au devoir « d’empêcher à temps, avec l’indépendance de Cuba, que les États-Unis s’étendent sur les Antilles et tombent, avec cette force supplémentaire, sur nos terres d’Amérique ».

Notre Amérique était pour lui celle du Créole, de l’Indien, celle du Noir et du mulâtre, l’Amérique métisse et travailleuse qui devait faire cause commune avec les opprimés et les spoliés. Maintenant, au-delà de la géographie, c’est cet idéal qui commence à se faire réalité.

Il y a 117 ans, le 11 avril 1898, le Président des États-Unis de l’époque demanda au Congrès l’autorisation d’intervenir militairement dans la guerre d’indépendance, déjà gagnée avec des rivières de sang cubain, et il émit sa trompeuse Résolution Conjointe, qui reconnaissait l’indépendance de l’île « de fait et de droit ». Ils entrèrent comme alliés et s’emparèrent du pays comme occupants.

On imposa à Cuba un appendice à sa Constitution, l’Amendement Platt, qui la dépouilla de sa souveraineté, en autorisant le puissant voisin à intervenir dans les affaires internes et donna naissance à la Base Navale de Guantánamo, qui usurpe encore aujourd’hui une partie de notre territoire. Pendant cette période, l’invasion du capital du Nord augmenta , il y eut deux interventions militaires et l’appui à de cruelles dictatures.

La « politique des canonnières » prédomina envers l’Amérique latine puis envers le « Bon Voisin ». Des interventions successives renversèrent des gouvernements démocratiques et installèrent de terribles dictatures dans 20 pays, simultanément pour 12 d’entre eux, fondamentalement en Amérique du sud. Ils assassinèrent des centaines de milliers de personnes. Le Président Salvador Allende nous a légué un exemple impérissable.

Il y a exactement 13 ans, se produisit le coup d’État contre le cher Président Hugo Chávez Frías que le peuple fit échouer. Après, vint le coup pétrolier.

Le 1er janvier 1959, 60 ans après l’entrée des soldats nord-américains à La Havane, la Révolution cubaine triompha et l’Armée Rebelle commandée par Fidel Castro Ruz arriva dans capitale.

Le 6 avril 1960, un an à peine après le triomphe, le sous-secrétaire d’état Lester Mallory écrivit dans un pervers mémorandum, déclassé des dizaines d’années après, que « la majorité des Cubains appuient Castro … il n’y a pas d’opposition politique effective. L’unique moyen prévisible pour lui retirer l’ appui interne est le désenchantement et le découragement basés sur l’insatisfaction et les pénuries économiques (…) affaiblir la vie économique (…) et priver Cuba d’argent et d’approvisionnements afin de réduire les salaires nominaux et réels, provoquer la faim, le désespoir et le renversement du gouvernement ».

Nous avons supporté de grandes pénuries. 77 % de la population cubaine est née sous les rigueurs imposées par le blocus. Mais nos convictions patriotiques ont prévalu. L’agression a augmenté la résistance et accéléré le processus révolutionnaire. Nous sommes ici avec le front haut et la dignité intacte.

Alors que nous avions déjà proclamé le socialisme et que le peuple avait combattu à Playa Girón (la baie des Cochons) pour le défendre, le Président Kennedy fut assassiné précisément au moment où le leader de la Révolution cubaine Fidel Castro recevait un de ses messages cherchant à initier le dialogue.

Après l’Alliance pour le Progrès et avoir payé plusieurs fois la dette externe sans empêcher qu’elle continue de se multiplier, on nous imposa un néolibéralisme sauvage et globalisateur, comme expression de l’impérialisme à cette époque, qui laissa une décennie perdue dans la région.

La proposition alors d’une « association hémisphérique mature » résulta de la tentative de nous imposer l’Aire de Commerce Libre de l’Amérique (ALCA), associée au surgissement de ces Sommets, qui aurait détruit l’économie, la souveraineté et le destin commun de nos nations, si on ne l’avait pas faite naufrager en 2005, à Mar del Plata, sous le leadership des Présidents Chávez, Kirchner et Lula. Un an avant, Chávez et Fidel avaient fait naître l’Alternative Bolivarienne, aujourd’hui l’Alliance Bolivarienne Pour les Peuples de notre Amérique

Excellences ;

Nous avons exprimé et je réitère maintenant au Président Barack Obama notre disposition au dialogue respectueux et à la cohabitation civilisée entre les deux États dans le respect de nos profondes différences.

J’apprécie comme un pas positif sa déclaration récente selon laquelle il décidera rapidement de la présence de la Cuba dans une liste de pays sponsorisant le terrorisme dans laquelle elle qui n’aurait jamais dû être.

Jusqu’à aujourd’hui, le blocus économique, commercial et financier s’applique dans toute son intensité contre l’île, provoque des dommages et des carences au peuple et il est l’obstacle essentiel au développement de notre économie. Il constitue une violation du Droit international et sa portée extraterritoriale affecte les intérêts de tous les États.

Nous avons exprimé publiquement au Président Obama, qui est né également sous la politique de blocus de Cuba et, lorsqu’il a été élu, l’a héritée de 10 Présidents, notre reconnaissance pour sa décision courageuse d’engager un débat avec le Congrès de son pays pour y mettre fin.

Celui-ci et d’autres éléments devront être résolus dans le processus vers la normalisation future des relations bilatérales.

De notre côté, nous resterons absorbés dans le processus d’actualisation du modèle économique cubain avec l’objectif de perfectionner notre socialisme, d’avancer vers le développement et de consolider les réussites d’une Révolution qui s’est proposée « de conquérir toute la justice ».

Estimés collègues :

Le Venezuela n’est pas et ne peut pas être une menace à la sécurité nationale d’une superpuissance comme les États-Unis. Il est positif que le Président nord-américain l’ait reconnu.
Je dois réaffirmer tout notre appui, de manière résolue et loyale, à la République Bolivarienne sœur du Venezuela, au gouvernement légitime et à l’union civique et militaire avec à sa tête le Président Nicolas Maduro, au peuple bolivarien et chaviste qui lutte pour suivre son propre chemin et fait face aux tentatives de déstabilisation et de sanctions unilatérales qui, nous le réclamons doivent être levées, que l’Ordre Exécutif soit abrogé ce qui serait apprécié par notre Communauté comme une contribution au dialogue et à l’entente hémisphérique.
Nous maintiendrons nos encouragements aux efforts de la République Argentine pour récupérer les Îles Malouines, Georgie du Sud et Sandwich du Sud, et continuerons de soutenir sa lutte légitime en défense de sa souveraineté financière.

Nous continuerons de soutenir les actions de la République de l’Équateur face aux entreprises transnationales qui provoquent des dommages écologiques dans son territoire et prétendent lui imposer des conditions abusives.

Je désire reconnaître la contribution du Brésil, et de la Présidente Dilma Rousseff, au renforcement de l’intégration régionale et au développement de politiques sociales qui ont apporté des progrès et des bénéfices à d’amples secteurs populaires que, au cours de l’offensive contre de divers gouvernements de gauche de la région, l’on prétend empêcher.

Notre appui au peuple latino-américain et caribéen de Puerto Rico sera invariable dans sa détermination à atteindre l’autodétermination et l’indépendance, comme l’a estimé des dizaines de fois le Comité de Décolonisation des Nations Unies.

Nous continuerons aussi notre contribution au processus de paix en Colombie.

Tous devrions tous multiplier l’aide à Haïti, non seulement au moyen d’une assistance humanitaire, mais avec des ressources qui permettent son développement, et insister pour que les pays des Caraïbes reçoivent un traitement juste et différencié dans leurs relations économiques, et les réparations pour les dommages provoqués par l’esclavage et le colonialisme.

Nous vivons sous la menace d’énormes arsenaux nucléaires qui devaient être éliminés et du changement climatique qui ne nous laisse pas de temps. Les menaces contre la paix augmentent les conflits prolifèrent.

Comme l’exprima alors le Président Fidel Castro, « les causes fondamentales sont dans la pauvreté et le sous-développement, et dans la distribution inégale des richesses et des connaissances qui règne dans le monde. On ne peut pas oublier que l’actuel sous-développement et la pauvreté sont conséquences de la conquête, de la colonisation, l’esclavagisme et le pillage de la plus grande partie de la Terre par les puissances coloniales, le surgissement de l’impérialisme et les guerres sanglantes pour de nouvelles redistributions du monde. L’humanité doit prendre conscience de ce que nous avons été et que nous ne pouvons pas continuer d’être. Aujourd’hui notre espèce a acquis des connaissances, des valeurs éthiques et des ressources scientifiques suffisantes pour marcher vers une étape historique de véritable justice et d’humanisme. Rien de ce qui existe aujourd’hui dans l’ordre économique et politique ne sert aux intérêts de l’humanité. C’est insoutenable. Il faut changer cela », conclut Fidel.

Cuba continuera à défendre les idées pour lesquelles notre peuple a assumé les plus grands sacrifices et risques et a lutté, avec les pauvres, les malades sans soins médicaux, les chômeurs, les petits garçons et petites filles abandonnés à leur sort ou obligés de travailler ou à se prostituer, les affamés, les discriminés, les opprimés et les exploités qui constituent l’immense majorité de la population mondiale.

La spéculation financière, les privilèges de Bretton Woods et le changement unilatéral de la convertibilité en or du dollar sont de plus en plus asphyxiants. Nous requérons un système financier transparent et équitable.

Il est inacceptable que moins d’une dizaine de grands centres commerciaux, principalement nord-américains, déterminent ce qui se lit, se voit ou s’écoute sur la planète. Internet doit avoir une gouvernance internationale, démocratique et participative, spécialement dans la création des contenus. La militarisation du cyberespace et l’emploi caché et illégal de systèmes informatiques pour agresser d’autres États sont inacceptables. Nous ne permettrons pas que l’on nous aveugle ni colonise de nouveau.

Monsieur le président :

A mon avis, les relations hémisphériques doivent changer profondément, en particulier dans les domaines politiques, économiques et culturels; pour que, basées sur le Droit international et sur l’exercice de l’autodétermination et de l’égalité souveraine, elles se centrent sur le développement de liens mutuellement profitables et sur la coopération pour servir les intérêts de toutes nos nations et les objectifs qu’elles proclament.

L’approbation, en janvier 2014, au cours du Deuxième Sommet de la CELAC, à La Havane, de la Proclamation de l’Amérique latine et des Caraïbes comme Zone de Paix, constitua un apport transcendant sur le sujet, marqué par l’unité latino-américaine et caribéenne dans sa diversité.

Ceci est démontré par le fait que nous avançons vers des processus d’intégration authentiquement latino-américains et caribéens à travers la CELAC, l’UNASUR, la CARICOM, MERCOSUR, ALBA-TCP, le SICA et l’AEC qui soulignent la conscience croissante de la nécessité de nous unir pour garantir notre développement.

La dite Proclamation nous engage à ce que « les différences entre les nations soient résolues de manière pacifique, par la voie du dialogue et de la négociation ou d’autres formes de solution, et en plein accord avec le Droit international ».

Vivre en paix, en coopérant les uns avec les autres pour faire face aux défis et résoudre les problèmes qui, en fin de comptes, nous affectent et affecteront tous, est aujourd’hui une nécessité impérieuse.

Comme le dit la Proclamation de l’Amérique latine et des Caraïbes comme Zone de Paix, « le droit inaliénable de tout État de choisir son système politique, économique, social et culturel, comme condition essentielle pour assurer la cohabitation pacifique entre les nations » doit être respecté.

Avec elle, nous nous sommes engagés à accomplir notre « obligation de ne pas intervenir directement ou indirectement, dans les affaires internes d’un quelconque autre État et d’observer les principes de souveraineté nationale, l’égalité des droits et la libre détermination des peuples » et à respecter « les principes et les normes du Droit international (…) les principes et les objectifs de la Charte des Nations Unies « .

Ce document historique demande « à tous les États membres de la Communauté Internationale de respecter pleinement cette déclaration dans ses relations avec les États membres de la CELAC ».
Nous avons maintenant l’opportunité pour que tous ceux qui sommes ici apprenions, comme l’exprime également la Proclamation, à « pratiquer la tolérance et cohabiter en paix comme bons voisins ».

Des divergences substantielles existent, oui, mais aussi des points en commun pour lesquels nous pouvons coopérer pour qu’il soit possible de vivre dans ce monde plein de menaces contre la paix et à la survie humaine.

Qu’est-ce qui empêche, à un niveau hémisphérique, de coopérer pour faire face au changement climatique ?

Pourquoi ne pouvons-nous pas, pays des deux Amériques lutter ensemble contre le terrorisme, le narcotrafic ou le crime organisé, sans positions biaisées politiquement ?
Pourquoi ne pas chercher, de concert, les ressources nécessaires pour doter l’hémisphère d’écoles, d’hôpitaux, créer des emplois, pour avancer dans l’éradication de la pauvreté ?
Ne pourrait-on pas diminuer l’iniquité dans la distribution de la richesse, réduire la mortalité infantile, éliminer la faim, éradiquer les maladies prévisibles, en finir avec l’analphabétisme ?
L’année passée, nous avons établi une coopération hémisphérique pour l’affrontement et la prévention de l’Ebola et les pays des deux Amériques avons travaillé en commun, ce qui nous doit servir d’éperon pour de plus grands engagements.

Cuba, petit pays dépourvu de ressources naturelles, qui s’est développé dans un contexte extrêmement hostile, a pu atteindre la pleine participation de ses citoyens dans la vie politique et sociale de la Nation; une couverture d’éducation et de santé universelles, gratuitement; un système de sécurité sociale qui garantit qu’aucun Cubain ne reste abandonné; des progrès significatifs vers l’égalité des chances et la lutte contre toute forme de discrimination; le plein exercice des droits de l’enfance et de la femme; l’accès au sport et la culture; le droit à la vie et à la sécurité citoyenne.
Malgré des carences et des difficultés, nous suivons la devise de partager ce que nous avons. Actuellement 65 mille coopérants Cubains travaillent dans 89 pays, surtout dans les sphères de la médecine et de l’éducation. Soixante-huit mille professionnels et techniques ont été diplômés dans notre île, dont, trente mille dans le secteur de la santé, issus de 157 pays.

Si avec des ressources très rares, Cuba a pu, qu’est-ce que ne pourrait pas faire l’hémisphère avec la volonté politique d’unir les efforts pour contribuer auprès des pays les plus nécessiteux ?
Grâce à Fidel et au peuple héroïque cubain, nous sommes venus à ce Sommet, nous acquitter du mandat de Martí avec la liberté conquise de nos propres mains, « orgueilleux de notre Amérique, pour la servir et l’honorer … avec la détermination et la capacité de contribuer à ce qu’elle soit estimée pour ses mérites, et respectée pour ses sacrifices ».
Merci beaucoup.

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