Des médecins cubains bientôt au chevet des Antilles françaises ?

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Des médecins cubains vont-ils bientôt voler au secours des patients antillais ? A la demande de plusieurs élus martiniquais et guadeloupéens, une modification au code de la santé permettra à Cuba d’envoyer un contingent médical pour lutter contre les déserts médicaux en outre-mer.

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C’est dans les amendements a priori anodins que peuvent se cacher de vraies révolutions. Lors des discussions au Sénat sur le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé en juin 2019, une discrète disposition permettra aux médecins généralistes et spécialistes, sages-femmes et pharmaciens ressortissants d’un pays hors de l’Union européenne de venir travailler au sein des territoires d’outre-mer.

Un dispositif qui vise surtout à combler l’offre de soins en Martinique et en Guadeloupe grâce à la venue de praticiens cubains. Explications. 

De quoi s’agit-il exactement ?

Après le vote en première lecture au Sénat, les députés discutent actuellement du tout nouveau projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. Avant le passage du texte à l’Assemblée nationale, des sénateurs martiniquais et guadeloupéens ont tenu à apporter une petite modification au sein du code de la santé. Désormais, les directeurs des agences régionales de santé de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane pourront autoriser des médecins, chirurgiens-dentistes, sage-femmes et pharmaciens ressortissants d’un pays hors Union européenne à exercer sur le territoire, pour un temps limité.  

Même si l’amendement ne cite pas un pays en particulier, cette nouvelle disposition doit bel et bien permettre d’attirer les médecins cubains, l’île n’étant qu’à quelques heures d’avion des Antilles françaises. Le sénateur LaREM de Guadeloupe, Dominique Théophile, a même rencontré à deux reprises en 2019 l’Ambassadeur de Cuba en France pour établir ce partenariat privilégié avec l’île. 

Dans les faits, des médecins ressortissants hors-UE peuvent déjà exercer en outre-mer. Une ordonnance datant de 2005 permet à la Guyane d’autoriser l’exercice de la médecine par des praticiens ressortissants d’un pays hors-UE. Un dispositif qui fonctionne bien d’après l’Agence régionale de santé de Cayenne (ARS). « La Guyane rencontre une pénurie de radiologues, d’anesthésistes ou de cardiologues. Nous accueillons aujourd’hui des médecins vénézuéliens, colombiens mais aussi d’Afrique et de l’Europe de l’Est. » Concernant les cubains, seuls deux praticiens sont présents en Guyane.  

« Comme l’ordonnance de 2005 n’a pas été accompagnée de décrets, nous avons mis en place des garanties », précise l’ARS de Guyane. « Après validation de l’établissement de santé où le médecin souhaite exercer, nous vérifions les diplômes et leur équivalence. Le Conseil de l’ordre des médecins doit valider son inscription et il doit avoir un niveau de français suffisant. » Enfin, durant la première année d’exercice, le médecins étrangers est chapeauté par un praticien référant qui vérifie son travail. 

Pourquoi la France a-t-elle besoin de faire appel à des médecins cubains ?

Les territoires d’outre-mer font partie de ce que l’on appelle les déserts médicaux, ces lieux où les médecins manquent cruellement au point de mettre en danger la santé et le suivi de la population. Face à cette situation, les élus antillais n’ont d’autre choix que de demander l’aide à leur voisin cubain pour bénéficier du programme international de santé dont l’île communiste fait habituellement bénéficier aux pays en voie de développement. 

Mais les chiffres sont inquiétants, comme le révèlent les dernières statistiques publiées par l’Insee. Alors que l’on compte 246 médecins généralistes à Paris pour 100.000 habitants, ce chiffre tombe à 140 et 143 pour la Guadeloupe et la Martinique. Concernant les chirurgiens-dentistes, ce n’est pas mieux qu’en métropole. Alors qu’ils sont en moyenne 88 pour le département des Bouches-du-Rhône pour 100.000 patients par exemple, ils sont 45 et 49 en Guadeloupe et Martinique. A titre de comparaison, d’après la Banque mondiale, l’île de Cuba compte 7,5 médecins pour 1000 habitants. En France, c’est 3,2 médecins, soit plus de deux fois moins. Le recours à des médecins à diplôme hors-Union européenne permettra de répondre à cette situation d’urgence.Agence régionale de santé de Martinique

Contactée par LCI, l’ARS de Martinique nous confirme les problèmes de recrutement. « L’ARS ne parvient pas à répondre parfaitement aux problématiques de démographie médicale du territoire. Les aides incitatives à l’installation permettent d’obtenir des résultats qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. De même, la direction du CHU ne parvient pas à pallier le déficit de spécialistes, malgré un recours important à l’intérim. » Une situation qui, d’après l’ARS, « ne suffit plus à garantir la continuité et la permanence des soins » en Martinique. « Le recours à des médecins à diplôme hors UE, Cuba n’est pas la seule zone géographique ciblée, permettra de répondre à cette situation d’urgence. » 

Le docteur Guy Hursule, président de l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux de la Guadeloupe, dénonce « une fausse solution appliquée à un vrai problème. » D’après lui, les outre-mer connaissent surtout « un problème d’attractivité pour les médecins du à un sous financement chronique des hôpitaux ». Sans oublier que « le numerus clausus étriqué maintenu à des niveaux ridicules pendant des décennies a écarté des jeunes motivés et capables. » 

La sénatrice socialiste de Martinique, Catherine Conconne, évoque, lors des discussions parlementaires « une ressource qui ne se situe qu’à une heure de chez nous ». Elle précise, non sans humour, que « Cuba dispose de larges ressources en matière de savoir-faire médical. Cuba n’est pas simplement le pays du mojito et de la salsa, c’est aussi un pays avec des médecins bien formés et extrêmement pointus dans leur domaine : j’ai moi-même été opérée par un médecin cubain et je me porte très bien ! » 

D’après les chiffres publiés par les autorités cubaines, il y aurait plus de 50.000 professionnels de santé travaillant dans 62 pays, essentiellement en Amérique latine, mais aussi en Afrique, au Moyen-Orient ou en Asie. 

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