PRÉJUDICES CAUSÉS AU SECTEUR EXTÉRIEUR DE L’ÉCONOMIE CUBAINE

3.1. Commerce extérieur et investissements étrangers

Le blocus a, durant la période analysée, infligé au commerce extérieur des pertes s’élevant à 3 850 916 429 dollars, le manque à gagner pour exportations de biens et services en représentant 70 p. 100, soit 2 698 636 842 dollars.

Ce sont les pertes associées à l’impossibilité d’accéder au marché étasunien qui se sont élevées le plus en pourcentage (196 p. 100), ce qui s’explique par l’immobilisation de stocks abondants afin de couvrir les longs délais de transport depuis des marchés lointains, par le recours à des intermédiaires et le renchérissement des coûts qui en découle (282 p. 100) et par celui des frets et assurances (45 p. 100).

Les secteurs les plus touchés par rapport à l’ensemble des pertes du commerce extérieur ont été le tourisme (50 p. 100), le transport (13 p. 100) et l’agriculture (12 p. 100).

La guerre économique imposée à Cuba par les États-Unis a une influence directe sur les maigres flux d’investissement étranger. L’interdiction faite aux capitaux étasuniens d’entrer à Cuba et la peur des investisseurs de pays tiers régions de souffrir des représailles pour des opérations à Cuba constituent un frein à des investissements étrangers supérieurs.

Sans blocus, Cuba pourrait recevoir des volumes d’investissements étrangers bien supérieurs, malgré un contexte régional caractérisé par la décélération en matière d’entrée de capitaux. Il y existe un climat propice à une augmentation des courants d’investissements : sa position géographique, l’agrandissement potentiel de ses ports, la création d’une Zone de développement spéciale, l’ouverture à de nouveaux secteurs économiques, les stimulants et l’excellente qualité des ressources humaines.

La plupart des secteurs prioritaires à Cuba doivent intéresser notablement les investisseurs étasuniens. Une fois le blocus levé, Cuba pourrait accéder à des matières premières, à des biens et à des services nécessaires pour entreprendre des investissements publics ou mixtes, et exporter des biens et services aux États-Unis.

La levée du blocus peut avoir aussi une incidence sur le développement du secteur agro-industriel, sur la production d’électricité, sur la modernisation et l’agrandissement du secteur hôtelier, et sur des projets de recherche-développement, entre autres.

La non-reconnaissance par les États-Unis de ses marques et brevets constitue une lourde entrave à l’économie extérieure de Cuba. À cet égard, l’un des obstacles les plus importants reste l’application de la Section 211 de l’Omnibus Consolidated and Emergency Supplemental Appropriations Act, 1999.

L’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ratifié voilà maintenant treize ans que cette loi violait les obligations du traitement national et de la clause de la Nation la plus favorisée de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), ainsi que l’Accord de Paris sur la protection de la propriété industrielle.

Cet avis prévaut toujours plus fortement à l’OMC, dans la mesure où la Section 211 a de sérieuses retombées sur le système multilatéral de commerce dont les États-Unis se disent les défenseurs. Chaque mois, l’Organe d’appel réitère que, aux termes du droit international, les États-Unis doivent faire en sorte que leurs lois, règlements et procédures judiciaires et administratives s’ajustent à leurs obligations, aux accords de l’OMC et aux traités concernant les marques et brevets auxquels ils sont partie.

Des projets de loi visant à déroger ou à amender la Section 211 ont été présentés au Congrès : ainsi, le projet S-757 soumis au Sénat le 17 mars dernier, qui, comme tous les précédents, a peu de chance réelle de se convertir en loi et d’aboutir à la suppression de la Section 211. Nonobstant, le président Obama pourrait intervenir auprès du Congrès pour qu’elle soit dérogée définitivement.

C’est du fait de cette Section 211 que la société cubaine CubaExport s’est vu refuser pendant de nombreuses années, et pour des motifs foncièrement politiques, le droit de renouveler l’enregistrement de la prestigieuse marque de rhum Havana Club.

C’est de même aux termes de cette Section et du Terrorism Risk Insurance Act, adopté en 2002, que certains demandeurs des États-Unis contre l’État cubain persistent dans leur intention de s’approprier des marques commerciales et des brevets cubains à titre de compensation.

Or, Cuba a respecté immanquablement, sans la moindre discrimination, les obligations qu’elle a contractées aux termes des instruments juridiques internationaux touchant à la propriété industrielle, et garanti plus de cinq mille marques et brevets étasuniens enregistrés dans le pays.

On trouvera ci-après des exemples de la façon dont cette politique a une incidence négative sur l’activité extérieure de l’économie cubaine :

  • Le marché étasunien du tabac Premium est le plus important au monde (65 p. 100 du marché mondial). Si Cuba pouvait y écouler son tabac, au grand prestige international pour sa qualité élevé, il vendrait dès la première année 50 millions d’unités qui lui rapporteraient 133 400 000 dollars.
  • Le miel cubain a un bon prestige international du fait de l’existence sur l’île d’une flore mellifère riche en saveurs et en couleurs. L’obligation de le vendre sur le marché européen implique un manque à gagner se montant à 14 279 000 dollars.
  • Pour la même raison, l’entreprise Stella S. A., qui produit du beurre de cacao et des dérivés, a enregistré un manque à gagner de 320 000 dollars, et l’entreprise Cítricos Caribe S.A. un de 915 055.
  • Bien qu’elle puisse importer des États-Unis, depuis 2001, des produits agricoles et des denrées alimentaires, l’entreprise Alimport se heurte à des difficultés découlant des conditions onéreuses et hautement réglementées qui lui sont imposées, des limitations financières et de la perte d’opportunités logistiques par rapport à d’autres marchés :
  • Impossibilité de bénéficier des crédits d’organismes, d’agences multilatérales et d’autres institutions similaires des États-Unis.
  • Coûts financiers associés à la perception du risque-pays et frais découlant de crédit assortis d’intérêts se montant à 5 ou 6% par an.
  • Inexistence de relations entre les banques cubaines et étasuniennes et, par conséquent, obligation de passer par des intermédiaires, d’où des dépenses supplémentaires de 4 millions de dollars.
  • Impossibilité de payer des pays tiers en dollars, d’où la nécessité de chercher des solutions de rechange auprès des fournisseurs, et des dépenses supplémentaires pour 6 millions de dollars.
  • L’impossibilité de disposer de ressources financières pour pouvoir maintenir et accroître les achats d’aliments aux États-Unis oblige l’entreprise à les repositionner dans des pays où elle dispose de liquidités grâce à des exportations cubaines ou de crédits. Cet éloignement des sources de livraisons renchérit le fret maritime.
  • L’impossibilité d’exporter des produits cubains aux États-Unis oblige les cargos concernés à s’y rendre à vide, d’où un manque à gagner se montant à 28 millions de dollars, qui auraient permis d’acheter environ 52 000 tonnes de quarts de poulet congelés, soit 49 p. 100 du panier de la ménagère.
  • La société commerciale Cubazucar, faute de pouvoir accéder au marché étasunien et à la bourse de ventes à terme de New York, et d’utiliser le dollar dans ses transactions, a essuyé des pertes se chiffrant à 78 593 665 dollars.
  • Il reste interdit d’importer aux États-Unis tout produit fabriqué en tout ou partie, même dans un pays tiers, avec du nickel cubain, alors que ce produit constitue une des principales exportations de l’île.

L’entreprise Comandante Ernesto Che Guevara, l’une des sociétés cubaines de nickel, a exporté 17 253,6 tonnes de nickel+cobalt qui lui ont rapporté 270 200 000 dollars. Si elle avait pu vendre aux États-Unis, où la tonne se vend en moyenne à 16 440,61 dollars, elle aurait gagné 283 700 000 dollars, soit une perte de 13 500 000 dollars.

3.2. Finances

Durant la période analysée, l’administration étasunienne a renforcé ses mesures punitives et à traquer les actifs cubains à l’étranger, notamment en ce qui concerne la prohibition d’utiliser le dollar.

D’avril 2014 à mars 2015, différentes banques intermédiaires ont engagé des actions qui ont entravé le fonctionnement des institutions bancaires cubaines. Bien que la quantification monétaire en soit difficile, le fait que les personnes morales cubaines soient contraintes de passer par des canaux autres que les canaux habituels pour leurs encaissements et paiements engendre des difficultés, des retards et des coûts supplémentaires.

La méga-amende (8,9 milliards de dollars) infligée à la banque française BNP Paribas en juin 2014 a eu un effet multiplicateur sur le risque-pays vis-à-vis de Cuba. Ainsi, de nombreuses banques et institutions financières qui avaient des rapports avec Cuba préfèrent, depuis, éviter de se retrouver prises dans le lacis complexe de réglementations et de permis exigés en matière d’opérations financières internationales avec elle.

On trouvera ci-après quelques-unes des principales difficultés ayant une incidence sur l’activité quotidienne des institutions bancaires cubaines :

  • Risque associé aux fluctuations des taux de change, faute de pouvoir utiliser le dollar.
  • Fermeture de comptes sur quatre banques intermédiaires européennes.
  • Annulation de codes RMA[1] de messagerie SWIFT[2] dans onze banques européennes, deux latino-américaines, une asiatique et une d’Océanie.
  • Denis de services bancaires de cinq banques européennes et de trois latino-américaines.
  • Refus de onze institutions financières et banques étrangères (six européennes, quatre asiatiques et une latino-américaine) de confirmer ou de notifier des opérations de cartes de crédit.
  • Obligation des institutions cubaines d’accepter des financements extérieurs dans des conditions extrêmement onéreuses, à cause du risque-pays qui est le facteur essentiel dans la détermination de la faisabilité et des coûts des opérations financières.
  • L’impossibilité d’utiliser le dollar a aggravé les difficultés des opérations dans le cas de billets et de chèques de voyage libellés dans cette monnaie et dans d’autres, émis par des agences d’American Express dans d’autres pays. À ce jour, il a été impossible de trouver une solution à cette difficulté, ce qui a représenté un coût d’opportunité puisqu’il n’est pas possible d’accréditer les montants correspondants sur les comptes cubains à l’étranger. Cette situation pourrait entraver la poursuite de ce service de chèques de voyage dans le pays, aux dépens de leurs porteurs.

Bref, durant la période analysée, le système bancaire cubain a souffert des préjudices de la part de trente-huit établissements bancaires étrangers.

 

[1] Return Merchandise Authorization (autorisation de retour de marchandises), est la procédure utilisée par des distributeurs ou des sociétés pour autoriser le retour d’un produit défectueux à des fins soit de réparation ou de remplacement, soit de délivrance d’une note de crédit permettant l’achat d’un autre produit.

[2] Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, chargée d’un réseau international de communications financières entre banques et autres établissements financiers.