A Cuba : une autre arme contre le cancer

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Ses yeux sont ceux d’un guerrier qui ne s’effraie pas dans la bataille, quelle que soit la supériorité de l’ennemi qu’il affronte. Il lutte. Il résiste. Il garde le calme. Il ne perd pas la foi. Hier la lutte dans la Sierra Maestra pour l’indépendance de son pays; aujourd’hui, une bataille pour sa propre vie.

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Depuis quelques mois, Ovidio Almendral est un patient de l’Institut National d’Oncologie et de Radiobiologie, de La Havane, et il vient chaque semaine dans ce centre de santé pour être traité avec du Nimotuzumab, un médicament créé au Centre d’Immunologie Moléculaire (CIM), qui contrôle le développement des cellules cancérigènes, et qui obtient déjà des résultats encourageants.

Cet homme de 80 ans, diagnostiqué avec une adénopathie cervicale, métastase d’un carcinome épidermoïde des voies aériennes et digestives supérieures, exprime se sentir différent après que l’on ait combiné le Nimotuzumab avec la radiothérapie. « Je me sens bien, normal. La seule chose que je ressens, avec la radiothérapie, est la sécheresse de la bouche. J’ai le moral. Je me maintiens en forme. »

Pour des pathologies similaires à celle-ci, le traitement le plus habituel est, dans un premier temps, d’extirper la tumeur au moyen de la chirurgie; puis la chimiothérapie. Mais pour Ovidio, en raison de son âge et d’autres maladies dont il souffre, on n’a pas pu le faire, explique le Docteur Elías García, le Spécialiste en Oncologie.

« Quand nous avons analysé cette situation, il n’était pas non plus possible d’additionner la chimiothérapie au traitement de la radiothérapie – précise le spécialiste – et nous avons décidé d’additionner le Nimotuzumab à la radiothérapie car de cette manière, on obtient de meilleurs résultats. »

C’est également ainsi pour Gustavo Maragues et Norberto Maceo, diagnostiqués avec un Adénocarcinome prostatique , comme à Ovidio Almendral, on a aussi ajouté à leur traitement le Nimotuzumab. Aujourd’hui, ils sentent déjà une amélioration.

J’étais un peu dans l’expectative confesse Gustavo Maragues mais au fur et à mesure que j’avance dans les cycles de chimiothérapie plus le Nimotuzumab, j’ai remarqué que ma maladie n’a pas progressé, et cela donne réellement du souffle pour continuer à avancer dans la vie « . Norberto Maceo dit qu’ au début il a perdu les forces, « mais déjà je me sens de nouveau un peu comme j’étais avant », déclare-t-il en souriant.

NIMOTUZUMAB CONTRE DES TUMEURS D’ORIGINE ÉPITHÉLIALES

Selon l’Organisation mondiale de la santé, à Cuba environ 21 000 personnes décèdent d’un cancer et plus de 31 000 nouveaux cas de cette maladie sont annuellement diagnostiqués, constituant ainsi la première cause de mort dans ce pays depuis 2012. C’est pourquoi les efforts déployés pour développer des traitements de plus en plus efficaces contre cette souffrance sont nombreux. C’est ainsi que le Nimotuzumab ou Cimaher, comme on le connait aussi, est l’un d’entre eux.

Kaleb Léon, Docteur en Sciences et Directeur de Recherches et le Développement du CIM, explique que le Nimotuzumab est un anticorps monoclonal qui reconnaît le facteur de la croissance épidermique et contrôle le développement des cellules cancérigènes, notamment dans les tumeurs d’origine épithéliales.

Quant à Ariamna Cuevas, Maître de recherche scientifique et responsable du Nimotuzumab au CIM, expose que ce médicament « est prescrit pour les cancers de la tête et de la gorge dans un état avancé, de l’œsophage, et gliomes ( type de cancer du cerveau chez l’adulte et l’ enfant). On le trouve aussi dans les recherches pour un autre ensemble de localisations comme le poumon, l’ estomac, le pancréas, l’utérus , et la prostate ».

Quant à la manière que le Nimotuzumab modifie l’organisme, le Docteur Elías García, déclare que c’est un médicament très sûr et de basse toxicité comparé à ses homologues dans le monde.
« Les personnes qui prennent ce médicament peuvent travailler. Après avoir été exposé au traitement, tu peux mener une vie normale sur ton lieu de travail, à la maison », affirme le patient Gustavo Maragues.

DES EXPÉRIENCES A PINAR DEL RÍO ET MATANZAS

Le Docteur Yamilka Sanchez, Chef du service Oncologie à Pinar del Río révèle que dans l’Hôpital Oncologique « III Congreso » de cette province, il y a le cas d’une jeune femme de 31 ans qui a commencé un cancer du col de l’utérus en 2010 avec une rechute dans la même zone en 2012.

« La patiente est toujours vivante après avoir reçu son protocole de chimiothérapie additionnée de Nimotuzumab, explique la spécialiste. En ce moment, la jeune femme, bien que l’on soit dans une progression de la maladie, bénéficie d’une très bonne qualité de vie. »

Quant au Docteur Eduardo Santiesteban, le spécialiste en Oncologie de la province de Matanzas, il commente ses expériences avec les patients affectés d’un cancer du poumon, qui après que leur soit appliqué un premier protocole de chimiothérapie présentaient un aspect général abîmé, ils ont amélioré leur qualité de vie après que leur soit additionné le Nimotuzumab.

« Beaucoup d’ entre eux sont arrivés avec dyspnée et douleurs thoraciques, et actuellement, ils se maintiennent vivants avec des lésions stables c’est-à-dire avec la lésion tumorale encore présente dans le poumon, mais sans manque d’air et ni douleur, de plus ils accomplissent leurs activités quotidiennes. »

A Cuba, depuis la création et l’application du Nimotuzumab en 2002, entre 400 et 500 patients en bénéficient annuellement « Notre objectif est d’essayer d’en faire bénéficier le plus grand nombre de patients possible et obtenir, en un moindre temps, la confirmation que le produit est sûr et efficace », affirme Ariamna Cuevas. Le Docteur Yamilka Sanchez, assure que disposer de ce produit à Cuba est une réussite de la science et de la biotechnologie de notre pays. « Nous y avons mis toutes les espérances parce que c’est une arme de plus contre ce fléau qu’est le cancer.

AU-DELÀ DES FRONTIÈRES CUBAINES

Le Nimotuzumab a dépassé les frontières de Cuba. Il est actuellement prescrit dans plus de 20 pays, notamment en Amérique du Sud, en l’Afrique et en Asie. Il en résulte qu’à l’ échelle mondiale, il a été utilisé chez environ 47 mille personnes.

Sur le processus d’enregistrement, Ariamna Cuevas, Responsable du Nimotuzumab au CIM, précise que c’est un sujet complexe, parce qu’il est nécessaire de documenter tout le développement du médicament puis de le présenter à l’agence de régulation. « S’ajoute la difficulté que, dans chaque agence de régulation, en fonction de son niveau de développement, il est demandé un niveau plus ou moins important d’explications ». La réalisation d’essais cliniques dans ces pays où l’on prétend commercialiser le produit fait partie du processus pour enregistrer un médicament.

À ce sujet, le Docteur Kaleb León assure : « Nous avons un très grand réseau dans différents pays : en Allemagne, dans des tumeurs du pancréas et gliomes. Il y a aussi des essais cliniques actuellement au Japon, dans différentes situations comme le poumon, l’œsophage. Des essais cliniques existent également en Indonésie et au Brésil ».

D’autres nations dans lesquelles se déroulent des essais cliniques, encore que d’une manière balbutiante, sont le Canada et les États-Unis. Cependant, l’un des défis du CIM avec le Nimotuzumab est d’obtenir un enregistrement dans un pays du premier monde, affirme Kaleb León, Directeur de Recherches et du Développement de ce Centre.

Nonobstant, aujourd’hui la science cubaine a réussi à pénétrer les marchés de pays développés et en voie de développement, par la connaissance scientifique et la grande qualité de ses recherches. « C’est ce qui fait qu’ils montrent un intérêt envers nous et les résultats sont là avec le Nimotuzumab », affirme Ariamna Cuevas.

Cependant, le Nimotuzumab n’est pas l’unique médicament du CIM qui a été enregistré à Cuba et dans d’autres nations. D’autres sont déjà commercialisés pour le traitement du cancer :

  • CIMAvax-EGF (vaccin thérapeutique pour le traitement du cancer du poumon non à petites cellules à stade avancé).
  • ior EPOCIM ou Eritropoyetina Humaine Recombinant (pour le traitement de l’Anémie chez des patients oncologiques).
  • ior LeukoCIM ou FILGRASTIM (Facteur stimulant de colonies de granulocytes (G-CSF) pour le traitement de la neutropenie).
  • VAXIRA ou racotumomab (vaccin thérapeutique pour le traitement du cancer du poumon non à petites cellules dans des stades avancés).

RÉUSSITES ET DÉFIS

En 1994, Fidel Castro inaugura le Centre d’Immunologie Moleculaire avec mission principale d’arriver à offrir des produits innovants pour la santé des Cubains.

« C’est un objectif qui va perdurer au CIM parce que ce n’est pas un luxe, c’est une promesse de santé pour notre peuple. C’était un défi pour nous » commente Ariana Cuevas.

Mais les scientifiques de ce Centre, après 20 ans de travail, ne sont pas restés au point de démarrage. Les progrès ont été constants. Actuellement, une seconde phase est déjà terminée et opérationnelle. « Mais de plus, il y a un nouvel investissement qui est assez avancé, et cela signifie que nous avons grandi », ajoute A.Cuevas.

Pour Kaleb León, un autre des défis que le CIM a est technologique. Les médicaments biotechnologiques, ne sont pas seulement un défi scientifique pour son développement, mais aussi un régulateur. « C’est une industrie très régulée, avec des standards élevés de production et le contrôle qualité qui requièrent une très haute technologie à l’heure de produire ces médicaments et c’est un défi pour notre pays de pouvoir passer à ces standards », conclut Kaleb.

CONFIANCE

Ovidio, Gustavo et Norberto restent fermes parce qu’ils savent qu’ils ne sont pas seuls. D’un côté, les infirmières et les médecins de l’Hôpital Oncologique de La Havane; de l’autre, les scientifiques du Centre d’Immunologie Moléculaire.

C’est pour cela que, pour Ovido Almendral, connaître de l’intèrieur tout ce qu’ offre un hôpital, est merveilleux, « et penser qu’à nous , qui l’utilisons, cela ne coûte rien », dit-il. En attendant, Norberto n’a pas besoin de dire avec des mots ce que montre son visage souriant et confiant.

Gustavo se sent de son côté reconnaissant pour avoir eu accès à un médicament comme le Nimotuzumab. « Parfois ils ne nous le disent pas à nous, mais nous savons qu’il est très coûteux, et l’avoir à notre disposition c’est très important pour ceux qui nous souffrons de ce type de maladie. »

« C’est cela qui vous donne la force pour rester autant qu’il le faudra – commente, avec les yeux humides, Ariamna Cuevas–jusqu’à 22 heures, ou jusqu’à minuit , ou travailler le samedi, le dimanche même, d’y aller et prendre soin de cette œuvre, de cet investissement que signifie avoir un nouveau laboratoire et pouvoir faire plus de recherches. C’est cela qui alimente l’âme ».

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